Depuis sa création en 1791, La Flûte enchantée est inscrite dans l’inconscient collectif. Omniprésente dans les programmes des opéras du monde entier, source de découverte, de joie et d’inspiration pour beaucoup, terrain d’exégèse ou compagne de vie pour certains, la fascination qu’elle exerce est à la mesure de sa beauté mais aussi du mystère qui la caractérise et que des siècles d’investigation n’ont pas estompé.
Une question demeure : pourquoi cette œuvre en particulier semble-t-elle contenir un secret universel si bien gardé ? Outre la somptuosité de sa musique, une partie de la réponse réside sans doute dans les différents niveaux de lecture que le livret propose : à la surface, une trame narrative apparemment naïve et universelle de conte pour enfants – le jeune prince arrivera-t-il à sauver la princesse malgré les obstacles et les bêtes terrifiantes ? – et, plus en profondeur, le parcours initiatique avec ses rites empreints des convictions maçonniques du compositeur. Un royaume dans lequel l’imaginaire du conte de fée côtoie le testament moral et spirituel d’un homme proche de la fin ; un royaume soutenu par des fondations musicales au style infiniment varié, un royaume qui s’explore sans fin…
L’opéra de Mozart s’ouvre sur la rencontre du jeune Tamino, projeté sans explication dans un nouveau monde où tout paraît dangereux et suspect. La Flûte enchantée se déploie dès lors dans une succession de tableaux emprunts d’étrangeté où l’indéfinissable suscite angoisses, peur et rejet. Cependant, et c’est là peut-être l’origine d’un autre aspect de l’attraction qu’exerce encore cette œuvre dont on espère toujours tirer une étincelante vérité, Mozart suggère que l’inconnu, le doute et l’intranquillité sont peut-être les conditions nécessaires à l’élargissement de la conscience et de ses possibles.
Mettre en scène La Flûte enchantée, c’est considérer les différents niveaux de lectures de l’œuvre, c’est choisir une forme, une esthétique, un écrin pour laisser libre cours à l’imaginaire et à la musique de Mozart et c’est également chercher à déconstruire une interprétation manichéenne et réductrice qui se baserait sur une lecture littérale de l’opposition de forces invétérées contenues dans l’œuvre.
La Flûte enchantée présentée à l’usine de Chandoline propose une version proche du livret original. Il s’agit non pas de chercher des réponses aux questions suscitées par l’œuvre, mais de donner à ces questions une forme qui réponde au spectre émotionnel d’aujourd’hui ; une recherche à la croisée de notre monde, dans le paysage intérieur de chacun mais aussi dans l’univers mouvant et mystérieux qui nous entoure, là où les antagonismes se livrent une guerre sans merci, mais où peuvent aussi s’harmoniser les forces les plus opposées lorsque l’amour et le langage ne les définissent plus comme tel.
Olivia Seigne, metteur en scène
La Flûte enchantée, Mozart et Ouverture-Opéra : un défi attendu et espéré !
“ La Flûte enchantée renferme un tiers des notes de Figaro et Don Giovanni. Après Don Giovanni qui était le plus grand opéra de tous les temps, tout le monde disait alors qu’il ne pourrait pas se renouveler… Mozart s’est lancé dans la dernière année de sa vie, dans un tout nouveau style plus épuré : il avait besoin de moins de choses pour exprimer les sentiments“. (Adam Fischer)
Grâce aux précieuses aides dont elle a bénéficié, Ouverture-Opéra sort indemne de la brutale annulation Covid du projet 2020, et a pu malgré cela verser à chaque collaborateur le 80% du salaire prévu, apport vital pour nombre d’entre eux. En leur nom ainsi qu’en son propre nom, Ouverture-Opéra tient à exprimer ici sa profonde gratitude envers tous ceux qui l’ont honorée de leur confiance et de leur soutien.
Renforcés dans notre engagement artistique et confiants dans un avenir où le partage culturel, aujourd’hui plus que jamais, occupe la place essentielle qu’il doit tenir dans toute société humaine, nous reprenons la route vers une nouvelle production en 2022.
Pour ce nouveau projet, dans un lieu nouveau et des contraintes nouvelles, nous revenons à Mozart, guide éprouvé dès nos débuts. Sa foisonnante créativité, son indéfectible bonne humeur et sa profonde humanité seront nos guides.
Après Les Noces de Figaro, projet fondateur en 2006, puis Don Giovanni en 2010 et Così fan tutte en 2014, c’est naturellement, presque inévitablement, que nous abordons La Flûte enchantée pour notre production 2022.
Le désir de nous confronter à cet ultime opéra de Mozart, que certains voient comme son testament lyrique, nous habitait depuis toujours, mais il est des œuvres que l’on n’aborde pas sans une crainte respectueuse !
Composée dans la fébrilité, quelques semaines avant la mort de Mozart, l’œuvre n’a cessé de fasciner, inépuisable et mystérieuse. Est-elle un conte pour enfants, une fable populaire et allégorique ? S’agit-il d’un récit initiatique coloré d’ésotérisme, portant haut les valeurs humanistes de la franc-maçonnerie dont Mozart et Schikaneder avaient rejoint les rangs ? Sans doute tout cela à la fois, La Flûte enchantée parle à chaque homme voulant donner un sens à son existence.
Mozart fait fusionner dans son Singspiel le bel canto, l’opera buffa et l’opera seria, le lied populaire et même le choral religieux, alternant comique, épique et pathétique. À tout âge, l’œuvre nous abreuve comme une intarissable source d’émerveillement. On se rappelle les visages fascinés du public, enfants ou vieillards, que Bergman filme en gros plan pour l’ouverture de son film !
Délaissant l’italien des opéras joués à la cour, Mozart et Schikaneder ont choisi la langue du peuple afin d’être compris de tous. Dans ce même but, les dialogues parlés seront donnés en français lors de nos soirées, et nous conserverons l’allemand (avec sur-titrage) dans les parties musicales, pour d’évidentes raisons de prosodie, point sur lequel Mozart ne faisait aucune concession.
Sans entrer dans une analyse savante de l’opéra et des symboles que l’on peut y rechercher, s’il faut retenir un principe inspiré par la franc-maçonnerie, c’est bien le message humaniste et fraternel que Mozart a voulu transmettre par cette œuvre.
C’est dans cet esprit que notre association a toujours conduit son travail avec ses partenaires et avec les jeunes artistes : partage et respect, afin de construire une œuvre où chacun puisse s’engager en totales profondeur et honnêteté.
À la lumière des objectifs que s’est fixés Ouverture-Opéra, les retombées de notre engagement s’avèrent très positives :
- Nos productions sont suivies par un public fidèle et nombreux où se côtoient profanes, amateurs éclairés et professionnels aguerris. Le taux de fréquentation de la Belle Hélène en 2018 a ainsi nettement dépassé les 90%.
- Les jeunes artistes plébiscitent le projet : nous recevons toujours plus de dossiers de candidature et nous auditionnons à chaque fois des musiciens de grande qualité. La participation des jeunes étudiants valaisans est féconde : depuis notre dernière production en 2018, quatre d’entre eux ont choisi de s’engager dans la voie professionnelle dans différentes Hautes écoles de Suisse.
- La collaboration avec les écoles du Valais se développe et s’intensifie à chaque projet. L’atmosphère dans laquelle se déroulent les représentations scolaires, élaborées spécialement pour les classes, est le signe tangible de l’intérêt des élèves pour nos projets.
Pour atteindre ces objectifs, nous avons très tôt développé et professionnalisé nos structures, avec l’aide indispensable de tous les soutiens publics et privés qui partagent cette vision et nous accompagnent dans notre démarche.
Cette philosophie a séduit le chef d’orchestre Pierre Bleuse qui fut à la direction musicale de notre dernière production et qui, malgré une carrière le conduisant aux quatre coins de la planète auprès des orchestres les plus réputés, tient à poursuivre cette collaboration : sa présence et son engagement dans notre projet sont un gage de plus au service de la qualité artistique et de la formation des jeunes artistes.
Avec l’infini respect qu’impose cet opéra, nous abordons ainsi La Flûte enchantée dans l’encadrement professionnel soudé et rodé qui a fait ses preuves depuis quinze ans et qui, sous la conduite enthousiaste et inspirante d’Olivia Seigne (mise en scène) et de Pierre Bleuse (direction musicale), permettra au plateau des jeunes artistes réunis à cette occasion de s’épanouir pour le plaisir de tous.
Tous nos moyens sont mis en œuvre pour partager l’émerveillement et la lumière d’éternels idéaux humanistes.
Jean-Luc Follonier, chef de projet
Réorchestrer La Flûte enchantée
Cette Flûte enchantée propose une version pour laquelle l’orchestration originale a été entièrement revisitée, s’adressant non pas à un orchestre classique, mais à un ensemble de 15 solistes. Lorsque Pierre Bleuse, en accord avec l’association Ouverture-Opéra, m’a proposé cette nouvelle aventure, ce fut pour moi une évidence.
La réorchestration de l’intégralité de l’opéra de Mozart était un défi ambitieux et passionnant : il ne s’agissait pas d’en réaliser une simple réduction, mais de repenser son espace sonore en insufflant de nouvelles couleurs, cela sans trahir sa dramaturgie et sa complexité.
Nous avons opté pour un ensemble dans lequel les instruments de l’orchestre mozartien sont bien présents, mais uniquement à l’unité. Des instruments inattendus sont également introduits : un cymbalum, un accordéon et des percussions que l’on trouve couramment dans les ensembles contemporains.
Ces particularités permettent à l’opéra de trouver une nouvelle étoffe, renonçant à la masse orchestrale, mais trouvant une diversité sonore beaucoup plus étendue. Cela m’a également permis de mettre en relief la singularité de certains caractères : les dialogues de plusieurs solistes accompagnent Papageno d’un jeu de couleurs aussi ludique que le personnage, la Reine de la Nuit se voit accompagnée de percussions atypiques, le mysticisme du monde de Sarastro devient intimiste dans l’esprit d’une musique de chambre.
Cette réorchestration inédite est, je l’espère, fidèle à l’essence même de l’œuvre. Elle en est également une interprétation concertée avec la mise en scène d’Olivia Seigne et la direction musicale de Pierre Bleuse, assisté de Laurent Zufferey. Elle contribuera à donner à l’œuvre une originalité et une magie particulières.
Nicolas Bolens, compositeur