Synopsis
S’adressant à tous les âges, La Flûte enchantée est une œuvre riche en symboles et idéaux. La plupart des thèmes abordés sont inspirés des rituels d’initiation de la franc-maçonnerie dont Mozart faisait partie depuis quelques années. À l’image d’un compagnon franc-maçon, Pamino progresse d’étape en étape à la recherche de la Vérité. Grâce aux lumières de ses réflexions et à la reconnaissance de nombreux symboles, il triomphe des épreuves qui le mènent à la connaissance de soi. Par la profondeur des thèmes évoqués, La Flûte enchantée reflète nos interrogations sur les mystères de la vie, les contradictions du monde et la recherche du spirituel.
L’œuvre raconte le combat entre la Reine de la Nuit, assistée de trois Dames, et Sarastro aidé par trois Garçons. Sarastro est surtout le gardien du disque solaire aux sept rayons. À première vue, le triomphe de Sarastro sur la Reine de la Nuit apparaît comme la victoire des forces masculines lumineuses sur les forces féminines obscures (la vanité et les charmes trompeurs des femmes ne sont-ils pas dénoncés par les prêtres misogynes ?).
Mozart dépeint le climat général qui prévalait dans les différents cercles à cette époque, y compris maçonniques. Cependant, que serait l’homme sans la femme ? Que serait Papageno, le chantre des joies de la vie terrestre, sans Papagena ? Que serait Tamino, en proie aux plus hautes aspirations, sans l’amour qui le transporte de joie vers Pamina ?
En fait, Mozart donne toute sa place à la femme : il laisse non seulement Pamina participer aux épreuves initiatiques aux côtés de Tamino, mais, en plus, lui confère le rôle de guide sur la voie de la connaissance. Il s’agit d’un procédé authentiquement soufite où le principe masculin actif ne peut se développer qu’au sein du principe féminin passif, le seul capable de laisser éclore toutes les potentialités contenues dans l’être.
Le véritable objectif de l’opéra va au-delà des oppositions apparentes mises en avant dans le livret. L’œuvre dévoile les contradictions intérieures d’un être partagé entre les tentations du monde profane, les aspirations à l’amour et les exigences du dépassement spirituel. Papageno, et même Monostatos, Pamina et Tamino ne font qu’un en réalité et tout l’opéra vise au rétablissement de l’harmonie au sein de cet être hypothétique qui nous ressemble tant. Et quoi de plus approprié que la musique pour jouer ce rôle ! Mozart nous rappelle qu’il ne tient qu’à nous d’intégrer les aspects physique, psychique et spirituel de l’être le long d’un axe vertical reliant la Terre et le Ciel, l’obscurité et la lumière.
En outre, Mozart s’est efforcé tout au long de l’œuvre de restaurer un lien qui aurait été perdu au cours des siècles entre la Franc-maçonnerie et la tradition égyptienne. Voilà pourquoi l’action se déroule en Égypte.
Ouverture
L’ouverture comporte deux parties distinctes qui préfigurent le contenu scénique des deux actes: le chaos précédent l’ordre, l’obscurité menant à la lumière.
Acte 1 : l’enchantement
Poursuivi par un serpent gigantesque, le prince Tamino tombe et gît inconscient. Il est sauvé par trois Dames qui ont coupé le serpent en trois morceaux. Quand il revient à lui, il voit l’oiseleur Papageno et le prend pour son sauveur. Papageno s’enorgueillit d’avoir tué le serpent, mais les trois Dames le condamnent au silence pour son mensonge.
Les trois Dames révèlent au prince à qui il doit en réalité la vie sauve et lui parlent de Pamina, la fille de la Reine de la Nuit. Elles lui montrent son portrait et, sur le champ, Tamino tombe amoureux. La Reine de la Nuit apparaît. Son mari a confié la garde du disque solaire à Sarastro, le grand Prêtre d’Isis et Osiris. Sarastro a pris aussi Pamina sous sa protection après la mort de son père. Assoiffée de vengeance, la Reine promet à Tamino la main de Pamina s’il la libère des griffes de l’horrible Sarastro. Délivré de sa condamnation au silence par les trois Dames en échange de la promesse de ne plus mentir, Papageno accompagnera Tamino dans sa quête. Pour protéger les deux protagonistes, elles donnent à Tamino une flûte magique et à Papageno un petit carillon.
Papageno se retrouve face à Monostatos, le gardien mauresque de Pamina. Ils s’effraient l’un l’autre et fuient dans les directions opposées. Papageno trouve Pamina qui s’est enfuie pour échapper aux assiduités de Monostatos et lui révèle qu’un prince follement amoureux va venir la délivrer.
Pendant ce temps, les trois Garçons mènent Tamino aux Temples de la Sagesse, de la Raison et de la Nature. L’Orateur demande à Tamino: “Que cherches-tu dans ces sanctuaires ?”. Tamino déclare “l’Amour et la Vertu”.
L’Orateur loue la noble mission de Tamino, mais rejette les griefs portés contre Sarastro. Il n’est pas l’horrible personne décrite par la Reine de la Nuit, mais un grand Sage. Assoiffé de connaissance, Tamino pose des questions et se met à jouer de la flûte enchantée. Ravis, les êtres alentour accourent. Tamino s’émerveille des pouvoirs de la flûte. Et pourtant, Pamina n’apparaît pas. Seul Papageno lui répond sur sa flûte de Pan.
Papageno et Pamina espèrent trouver Tamino avant le retour de Monostatos. Quand l’homme mauresque apparaît subitement avec ses esclaves, Papageno joue du carillon et ils s’éloignent. Sarastro entre et Pamina lui révèle la raison de sa fuite. Monostatos l’a poussée à s’enfuir. Ce dernier introduit Tamino. Au lieu de la récompense prévue, il est condamné à soixante-dix-sept coups de bâton. Pamina et Tamino s’embrassent. Sarastro ordonne que Tamino et Papageno soient conduits au Temple de l’Initiation.
Acte 2 : l’initiation
Un prêtre demande si Tamino et Papageno sont prêts à subir une série d’épreuves pour être initiés aux mystères, en commençant par le silence. Tamino n’a aucun doute, mais Papageno hésite. Il change d’avis à la perspective d’une récompense possible en la personne d’une jolie fille répondant au doux nom de Papagena.
De son côté, Pamina doit déjouer les avances de Monostatos. Frustré, Monostatos essaie de courtiser la mère pour obtenir les faveurs de la fille. La Reine de la Nuit donne un poignard à Pamina, avec l’ordre de tuer Sarastro et de rapporter le disque solaire.
Les trois Garçons invitent Tamino et Papageno à se régaler. Pamina entre pendant qu’ils mangent. Elle interprète le silence de Tamino qui respecte son vœu et de Papageno qui a la bouche pleine, comme la fin de leur amour. Désormais, la mort est sa seule consolation : désespérée, elle brandit le poignard de sa mère, mais les trois Garçons l’empêchent de se suicider.
Les prêtres remercient Isis et Osiris de rendre Tamino digne d’être initié. Papageno est heureux d’apprendre qu’il ne rejoindra pas l’assemblée des élus. Tout ce qu’il désire, c’est du vin et une femme.
Tamino est amené au pied d’une montagne où coule une chute d’eau et brûle un feu. Tandis qu’il se prépare pour les ultimes épreuves, Pamina accourt pour les partager avec lui. Elle le guide pendant les dernières épreuves dont ils ressortent triomphants.
Papageno est pour sa part en quête de Papagena. Il souffle dans sa flûte de Pan et l’appelle par trois fois. N’obtenant pas de réponse, il s’apprête à se pendre mais est sauvé par les trois Garçons qui lui suggèrent d’utiliser son carillon magique et une vieille femme apparaît. Dès que Papageno se rend à ses suppliques, le charme opère et l’adorable Papagena se révèle.
Les trois Dames, la Reine de la Nuit et Monostatos grimpent dans le jardin, prêts à débarrasser le Temple de ses “bigots”. Ils sont alors rejetés dans les tourments de la nuit éternelle.
Revêtus des habits sacerdotaux, Tamino et Pamina se tiennent devant Sarastro dans le Temple du Soleil. La lumière a triomphé de l’obscurité et les prêtres célèbrent l’union de la Force, de la Beauté et de la Sagesse.
L’œuvre dans la perspective de son temps
La Flûte enchantée est le résultat d’une collaboration de Mozart avec la compagnie du Theater auf der Wieden (une nouvelle salle sise dans les faubourgs de Vienne), dirigée par Emanuel Schikaneder.
A cette époque, l’empereur Joseph II autorise enfin l’ouverture de théâtres libres dans lesquels sont représentées des œuvres en langue allemande. Cela explique sans doute pourquoi, après le succès mitigé de Don Giovanni, des Nozze di Figaro et de Così fan tutte, dans le domaine de l’opéra italien aristocratique, Mozart accepte la proposition que lui fait son ami Schikaneder d’écrire à nouveau un Singspiel à la manière populaire de son théâtre, avec des effets spéciaux et de la magie, d’autant plus populaire qu’il sera écrit dans une langue intelligible par tous et s’adressera à toutes les classes sociales.
Contrairement à ce que l’on a souvent affirmé, le Theater auf der Wieden n’est pas une salle de deuxième ordre : il dispose en effet plutôt d’importantes ressources techniques qui ont permis les nombreux effets spéciaux et changements de décor qui abondent dans La Flûte enchantée et déterminent sa structure dramaturgique. L’opéra relève en effet de l’esthétique du merveilleux et du spectaculaire propre au monde germanique, ce que remarqueront par exemple Weber et Wagner.
Schikaneder faisait participer tous ses collaborateurs à ce qui était un travail de groupe, ensemble auquel s’est joint Mozart, pour sa plus grande satisfaction, dans le but de divertir et de surprendre par des apparitions et autres effets stupéfiants.
C’est là que se situe l’originalité de La Flûte enchantée. Schikaneder a mis en scène d’une manière originale, la sienne, un conte de Wieland, Lulu oder die Zauberflöte (1786), qui est un conte de fée, en y ajoutant des éléments d’une initiation à la maçonnerie, mélangeant les genres buffa et seria (par exemple l’air de la Reine de la nuit), avec éclectisme et avec l’assentiment si ce n’est la volonté du compositeur.
Goethe a été enthousiasmé par le résultat, en produisant cet opéra si particulier 94 fois à Weimar et en ayant le projet de lui écrire une suite.
Schikaneder avait produit auparavant plusieurs ouvrages à grand succès du même type, en recréant en particulier le personnage comique de Kasperle, l’équivalent allemand de Guignol, dont le personnage de Papageno est un nouvel avatar. La Flûte enchantée est ainsi inspirée par plusieurs contes de fées de Wieland, l’un des principaux représentants des Lumières allemandes. La structure du texte et la typologie des personnages reprennent par contre plus celles d’un opéra de Paul Wranitzky représenté l’année précédente et intitulé Oberon, König der Elfen (1789) que celles de Der Stein der Weisen (1790), un ouvrage anonyme, également collectif, récemment redécouvert, auquel Mozart aurait participé.
La Flûte enchantée est une œuvre collective résultant de la collaboration de Mozart avec la plupart des autres participants qui entretenaient avec lui des liens familiaux, fraternels ou idéologiques. A ce titre, l’œuvre est indubitablement la réalisation en acte d’un principe maçonnique fondamental consistant à produire en commun un travail à destination spirituelle. Le travail n’obéissait pas alors à une division stricte des domaines de la création artistique et la notion d’auteur comme génie propagée par le romantisme, justement à propos de Mozart, n’avait pas encore cours. Mozart a participé lui-même activement à l’écriture du livret, tandis que Schikaneder aurait composé lui-même certains numéros de musique (comme les deux airs de Papageno et le duo avec Pamina).
Une polémique est apparue également après la mort de Mozart, lorsque l’un des membres de la troupe, l’auteur de l’Oberon, Karl Ludwig Giesecke, a revendiqué également la paternité du texte de La Flûte enchantée. D’autres noms ont également été évoqués par la suite. Le ténor Benedikt Schack, qui interprétait le rôle de Tamino, était également compositeur et flûtiste ; il est possible qu’il ait joué lui-même de la flûte sur la scène, et que Mozart ait choisi cet instrument à cause de lui.
Mozart avait presque terminé d’écrire la musique lorsqu’il partit pour Prague afin d’honorer la commande de son dernier opéra La Clemenza di Tito. Il composa les derniers numéros de La Flûte enchantée à son retour, à la fin du mois de septembre, participa aux répétitions et dirigea encore la première représentation, le 30 septembre 1791, puis la deuxième. Il assista à plusieurs autres représentations au cours du mois d’octobre, jouant à l’occasion du glockenspiel, avant de sombrer dans la maladie et de mourir le 5 décembre suivant. Chaque soir selon son épouse, Mozart, dans les derniers jours de sa vie, suivait dans son lit le déroulement de son oeuvre, montre en main, fredonnant les airs. La Flûte enchantée garda l’affiche pendant plusieurs années et l’ouvrage connut sa centième représentation à Vienne en novembre 1792. La première représentation à Paris eut lieu en 1801 sous la forme d’une adaptation française libre d’Etienne Morel de Chédeville et Ludwig Wenzel Lachnith, intitulée Les Mystères d’Isis.